En famille

La petite cuisine de la famille autour du repas

Les repas de famille sont des moments privilégiés pour se retrouver entre parents et enfants. En se rendant attentif aux autres, on se donne l'occasion de ressouder régulièrement les liens familiaux, et de se tenir au courant de la vie de chacun.

Le menu: “Qu'est-ce qu'on mange?”

“Plus jeune, je voyais le repas comme un simple moyen de me remplir l'estomac, raconte Félix, 18 ans. Aujourd'hui, je fais beaucoup plus attention au goût des plats.” Dans trois familles sur quatre, le menu est identique pour tous (Ocha/Sofres). “Partager le même repas est une condition essentielle de la fonction principale du repas de famille: l'affirmation du groupe”, affirme le sociologue Jean-Claude Kaufmann.

Et quand les goûts diffèrent? “Lorsque j'ai décidé d'être végétarienne, c'est devenu infernal à table, se souvient Amélie, 22 ans. Ma mère n'acceptait pas que je ne mange pas la même chose que les autres.” Pas évident de refuser un repas préparé pour toute la famille…

La conversation: “Ça va, en cours?”

La table est un lieu privilégié de l'échange familial. On se raconte tracas, délires et projets. “C'est le seul moment où je peux avoir une discussion avec mes parents”, remarque Florence, 18 ans. “Chaque repas fonctionne un peu comme un test, qui indique si la famille est bien vivante”, note Jean-Claude Kaufmann. “La table nous expose au regard des autres, glisse le psychiatre Gérard Mevel. Cette mise à l'épreuve de soi est plus ou moins bien supportée.”

Alors certaines familles préfèrent éviter les sujets qui fâchent, ou les cacher derrière une bonne humeur de façade. Mais selon le psychanalyste Serge Tisseron, les tensions n'échappent pas à l'attention des jeunes. “Les réunions de famille sont un peu comme des scènes de théâtre, rigole Edwige, 20 ans. J'observe mon père et ses frères et sœurs, qui n'ont pas les mêmes opinions et évitent de parler de religion…”

La télévision: “On se fait un plateau télé?”

Près de la moitié des Français dînent devant le petit écran (Insee): “La télé à table peut vite devenir un piège, prévient Jean-Claude Kaufmann. Quand toutes les chaises se tournent vers elle, que son volume sonore est élevé, qu'une sorte d'addiction collective se crée autour d'elle, elle a tendance à déstructurer le repas, à casser la conversation et le lien social.” Le petit écran peut pourtant servir également à alimenter les discussions, et donner des références communes. En commentant les informations, chacun peut affirmer son point de vue.

Tout est question de dosage, comme pour un autre invité indésirable: le téléphone: “Si on y répond trop fréquemment, l'équilibre collectif s'effondre”, reprend Jean-Claude Kaufmann. Comme pour la propreté à table, l'exemplarité joue beaucoup: difficile pour un père d'interdire les SMS pendant le repas s'il vient de passer vingt minutes au téléphone entre le fromage et le dessert…

L'invité(e): “Claire peut venir manger demain?”

Matthieu aime bien inviter un copain à dîner à la maison. Il constate que sa mère apporte un soin particulier au menu, et qu'on entend moins “les grands schlups” paternels. Même proche, un invité est toujours considéré comme un observateur extérieur dans ce moment très intime qu'est le dîner familial. “La famille a alors tendance à en rajouter un peu pour se montrer sous son meilleur jour”, note Gérard Mevel. Accueilli à la table familiale, le nouveau venu est du même coup accueilli dans la famille.

Et quand il s'agit d'un(e) petit(e) ami(e), ça prend vite valeur d'intronisation… Inviter un copain à dîner, c'est enfin prendre une option pour les fois où l'on ira soi-même manger ailleurs et rencontrer d'autres familles, d'autres traditions, d'autres habitudes, qui donneront une saveur toute particulière à nos propres repas de famille.

Le 24 janvier 2009 Lucie Geffroy